Cette biographie a été rédigée par Dominique Ancelet-Netter, Zoë Selle, Adriàn Valenzuela Castelleto, en avril 2022.
Paul Bourget, né le 2 septembre 1852 à Amiens, est décédé le 25 décembre 1935 à Paris. Poète à ses débuts, il a aussi été un essayiste et un critique littéraire réputé. Romancier, journaliste, dramaturge, il est élu à l’Académie française en 1894. Auteur de romans « psychologiques » très appréciés des lecteurs de son temps, reconnu comme un maître par la génération des écrivains catholiques et nationalistes comme Maurice Barrès et Henry Bordeaux, Bourget a été l’un des mentors de l’Action française. Ses engagements aux côtés de la droite antidreyfusarde et le style rigidifié de ses derniers romans à thèse ont conduit à une désaffection progressive de la part du public. Cependant, son œuvre romanesque ainsi que ses critiques littéraires conservent un grand intérêt auprès de ses lecteurs. Sa théorisation de la décadence à partir de Baudelaire a influencé Nietzsche. Bourget a également conceptualisé et popularisé le concept très fin-de-siècle du dilettantisme.
Paul Bourget passe son enfance et son adolescence à Clermont-Ferrand. Il est âgé de six ans lorsqu’il perd sa mère. Son père, Justin Bourget, professeur puis recteur d’académie se remarie rapidement et a plusieurs enfants. Justin Bourget pousse alors son aîné à faire des études de lettres à Paris.
Le jeune Paul fréquente le lycée Louis-le-Grand puis le collège Sainte-Barbe dès 1870. Lecteur passionné et insatiable, il découvre Baudelaire, Musset, Henri Heine, Byron et son futur maître à écrire, Balzac. Bourget appartient à cette génération perdue d’après la défaite de 1870. En 1871, il est un des rares auteurs français demeurés dans la capitale : il assiste aux insurrections de la Commune, qu’il appuie tout en refusant de se rendre sur les barricades. Présent lors de la bataille du Panthéon près du collège Sainte-Barbe, il en conserve un souvenir d’effroi qu’il a relaté avec précision dans plusieurs de ses romans. Ce choc le conduit à se détourner de la politique. Le jeune « demi-dandy » se veut homme de lettres. Sous l’influence de Spinoza, Bourget se qualifie de positiviste en juin 1872 et développe le goût pour les études « psychologiques ». En 1872, sous la houlette de Barbey d’Aurevilly, Bourget est convié à ses premiers dîners littéraires. Il fréquente aussi les milieux d’avant-garde poétique avec les Zutistes ou les Hydropathes. Au printemps 1875, il publie chez Alphonse Lemerre son premier recueil de poèmes, La Vie inquiète, à l’influence parnassienne marquée. Bourget se met alors en quête d’un nouveau canon poétique en formant le groupe des Vivants, avec Ponchon et Maurice Bouchor. Journaliste, Bourget publie son premier article à 20 ans dans La Renaissance littéraire et artistique, « Le Roman d’amour de Spinoza ». En 1875-1876, il fait paraître plusieurs études dans LaVie littéraire, où il retrouve Alphonse Daudet, Théodore de Banville, Edmond de Goncourt et Henri Céard. Son réseau de sociabilités littéraires s’élargit. À La République des lettres, Bourget rencontre Leconte de Lisle, Coppée, Dierx, Heredia, Valade, Mallarmé, Cladel et Villiers de l’Isle-Adam. Avec son ami Albert Cahen d’Anvers, il voyage en Italie et en Grèce en 1874. Bourget développe le goût des voyages et de l’histoire de l’art et commence à s’intéresser aux typologies des mœurs et à l’étude des races, thématique en vogue à la fin du XIXe siècle. En 1876, Catulle Mendès met Bourget en contact avec les naturalistes. Bourget devient proche de Huysmans et Hennique. À l’automne 1876, sa rencontre avec Zola est déterminante. Bourget est convié aux dîners du Bœuf Nature et entretient pendant très longtemps une correspondance amicale avec Zola qui lui dédicace tous ses livres malgré leurs engagements opposés au moment de l’affaire Dreyfus. En trois fois, le 15 et le 22 août puis le 5 septembre 1878, Bourget publie un article majeur sur « La Genèse du roman contemporain » dans La Vie littéraire. En poéticien, il définit le nouveau roman d’une manière toute naturaliste : le romancier ne traite plus son sujet sous un angle fantaisiste ou idéologique mais s’intéresse uniquement aux faits. Bourget poursuit aussi son activité de poète avec la publication d’Edel en 1878. Un an plus tard, il commence à écrire pour La Paix et Le Globe. Cette collaboration marque ses débuts dans le monde du journalisme. Dans ses chroniques au Parlement et au Gaulois, il commence à s’intéresser de plus en plus à « l’actualité de l’esprit ». À partir de 1880, Bourget entame une série de voyages qui lui font quitter Paris une ou deux fois chaque année. À Paris, Bourget devient ami avec Taine et Renan. Par la suite, le disciple Bourget prendra ses distances et dépassera ses premiers maîtres à penser. En 1881, Bourget publie Les Aveux, recueil pessimiste de vers, dont l’accueil critique le blesse et le fait renoncer à sa vocation de poète. Bourget compose son premier essai sur Baudelaire pour La Nouvelle Revue. En 1882, la collaboration avec la revue littéraire se poursuit puisqu’il compose quatre autres études du même style que celle sur Baudelaire. En 1883, ces textes sont réunis dans les Essais de psychologie contemporaine. La critique est élogieuse. La jeunesse française est marquée par cet ouvrage. Les Essais et les Nouveaux essais de psychologie contemporaine réorientent l’esprit de ceux qui se vouent à l’activité littéraire. Bourget devient alors l’interprète de la génération montante. Il est l’un des premiers à définir les symptômes du pessimisme, ce nouveau visage du mal du siècle. Analyste de l’âme contemporaine, en 1884, Bourget publie sa première nouvelle, « L’Irréparable ». Puis l’année suivante, il débute dans le roman avec Cruelle énigme qui lui offre la célébrité et lui obtient la reconnaissance du public, de la critique et des salons mondains. Le 15 août 1887, Mensonges, commence à paraître dans La Nouvelle Revue. Ce roman confirme le succès de Bourget auprès de ses lecteurs et de ses lectrices.En1888, paraissent chez Alphonse Lemerre les Études et Portraits. Bourget regroupe dans cette publication ses meilleurs articles parus depuis 1879 dans Le Globe, Le Parlement, Les Débats, L’Illustration et La Nouvelle Revue. En 1889, dans La Vie Parisienne, Bourget publie en feuilleton Le Disciple. La publication de ce dernier roman lance le débat sur la responsabilité des intellectuels sur la jeunesse. Avec L’Étape, publié en 1902, c’est le roman qui contribue le plus à sa gloire. Le 31 mai 1894, Bourget est élu à l’Académie française, à l’âge de quarante-trois ans. Il est parrainé par Coppée et le comte d’Haussonville, et occupe le fauteuil 33, succédant à Maxime Du Camp. Le 21 août 1890, Paul Bourget se marie avec Julia (dite Minnie) David, à l’église Saint-François-de-Sales. Ses témoins sont François Coppée et Albert Cahen d’Anvers. Le couple Bourget devient un habitué des dîners parisiens et fréquente l’aristocratie du Faubourg Saint-Germain et les principaux salons littéraires du temps, comme celui de Julia Daudet ou de Juliette Adam. Bourget apparaît également dans le Grenier des Goncourt. Son goût pour les collections d’art, en particulier l’art primitif siennois qu’il a découvert en Italie, l’amène à fréquenter des collectionneurs de peinture impressionniste tels que Charles et Jules Ephrussi, mais aussi Charles Deudon et Henri Cernuschi. Bourget se rend dans plusieurs villes européennes et américaines. À Rome, il fait la rencontre du comte Primoli. Grâce à ses relations, l’auteur accède aux salons romains les plus célèbres. Il se rend très souvent à Venise. De ses voyages en Italie, l’auteur tire un essai, Sensations d’Italie, et un roman, Cosmopolis. Il écrit Cruelle énigme à Londres, et L’Irréparable à Oxford, en 1884. En plus de l’Italie, Bourget découvre et explore d’autres territoires étrangers : la Grèce, Corfou, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, le Maroc, la Terre sainte, et pour finir l’Amérique où il séjourne pendant huit mois. Il y fait la rencontre d’Edith Wharton qu’il introduit dans les milieux littéraires parisiens, et découvre Boston, Chicago, New York, la Floride et Salem.
L’œuvre littéraire de Bourget est classiquement distinguée en deux périodes différentes : une première période orientée sur l’analyse psychologique et une seconde période plus engagée qui signe aussi son retour au catholicisme en 1901, qu’il avait abandonné en 1867. Le Disciple représente le roman de transition entre ces deux périodes. Ses romans comme Cruelle énigme, Cosmopolis, André Cornélis, Mensonges font partie de la première période littéraire des « romans psychologiques ». Dès 1902, après L’Étape, roman de conversion où il dénonce la méritocratie républicaine « qui conduit à brûler les étapes et à oublier ses racines », Bourget entre dans une période d’écriture de « romans à thèse » : il s’affiche comme catholique et monarchiste, et se rapproche de Charles Maurras. Mais son engagement politique et antidreyfusard est assez tiède. Il se refuse à toute déclaration antisémite. Durant cette période, l’état de santé de sa femme se détériore. Minnie Bourget meurt en 1932 dans une clinique psychiatrique du Vésinet. Bourget continue cependant à publier à un rythme régulier des nouvelles édifiantes, policières ou fantastiques comme Le Fantôme, ayant principalement pour cadre le monde aristocratique européen. Préoccupé de questions psychologiques et médicales, Bourget est le premier écrivain français à décrire une séance d’analyse et à mentionner Freud dans son roman Némésis en 1914. C’est aussi en mars 1914 qu’il assiste à l’assassinat de Gustave Calmette par Henriette Caillaux, alors qu’il était venu porter un article au patron du Figaro. Cette scène dramatique le marque durablement. Il conserve dans ses papiers intimes les journaux datés du drame et un portrait signé par Jean-Louis Forain de la première épouse de Calmette croqué lors du procès. Au début du XXe siècle, Bourget se plie à ses fonctions d’académicien par l’écriture de nombreux discours notamment lors de cérémonies d’hommages à Barbey d’Aurevilly, Balzac, Alexandre Dumas ou Flaubert. Le maître qu’il est devenu facilite aussi l’accès à la carrière des lettres à de jeunes auteurs comme Maurice Barrès avec lequel il se lie d’une amitié profonde. Bourget encourage l’auteur des Déracinés dès ses débuts et lui prodigue de nombreux conseils d’écriture. Bourget se fait lui aussi aider pour l’adaptation de ses nouvelles au théâtre comme Le Luxe des autres, en 1902, puis il se lance dans l’écriture d’œuvres dramatiques comme La Barricade, en 1910, et Le Tribun, en 1911. De 1922 jusqu’à sa mort, l’académicien a été aussi président en charge de la conservation du musée de Condé à Chantilly. Le 29 janvier 1896, Bourget achète le Plantier de Costebelle, à Hyères, villa où, à partir de 1914, il écrit quasiment l’intégralité de ses dernières œuvres. Bourget reçoit dans sa résidence provençale de nombreux auteurs dont Edith Wharton, Henry James, Francis Carco et Georges Bernanos. Gravement malade depuis un an, il meurt le jour de Noël en 1935.
Paul Bourget est mort sans enfant et sans véritable héritier spirituel puisque Maurice Barrès l’a précédé dans la tombe. Paul Bourget repose auprès de sa femme Minnie David dans le cimetière du Montparnasse à Paris. Il laisse derrière lui une œuvre considérable ainsi que l’ensemble de ses journaux intimes, encore inédits, conservés avec ceux de sa femme à la bibliothèque de Fels de l’Institut catholique de Paris.